Pourquoi le Sénégal n’a jamais gagné la CAN ?
Si elle est souvent apparue, sur le papier, comme l’une des meilleures équipes du continent africain, le Sénégal n’a jamais réussi à inscrire son nom au palmarès de la CAN. FF vous raconte pourquoi et comment.
Face à la sensation béninoise, tombeuse du Maroc en huitièmes de finale vendredi dernier, le Sénégal aura un statut à assumer. Celui de favori de la Coupe d’Afrique des nations. Un costume qu’elle porte déjà depuis bien avant le début de la compétition, mais qui s’est encore ajusté à sa taille avec la sortie de route de l’Égypte, éliminée de sa CAN par une surprenante équipe sud-africaine. Si quelques équipes bien armées ont encore des arguments pour chasser les Lions (le Nigeria, la Côte d’Ivoire et l’Algérie notamment), Aliou Cissé et ses hommes sont à trois petits matches du premier titre majeur de leur histoire.
2002, l’âge d’or
Car aussi surprenant que cela puisse paraître : non, la sélection sénégalaise n’a jamais soulevé de trophées majeurs depuis son premier match officiel en 1961. Ce même Sénégal dont le blason a été défendu par des joueurs comme Papa Bouba Diop, Omar Daf, Habib Beye, Lamine Diatta, El-Hadji Diouf ou Mamadou Niang, mais dont seuls des triomphes anecdotiques aux Jeux de l’Amitié en 1963 et aux Jeux Africains en 2015 garnissent une armoire à trophées poussiéreuse. Les deux véritables performances de l’histoire du football sénégalais sont ailleurs. En 2002, les Lions de la Teranga enchaînent, en quelques mois, une médaille d’argent à la CAN et un quart de finale historique pour sa première participation à une Coupe du monde, avec notamment une victoire historique devant les champions du monde français.
Le début des années 2000 correspond à un âge d’or pour la sélection sénégalaise. Avant ça, ses performances sur la scène internationale s’apparentaient plus à une traversée du désert : sept participations à la CAN (sur 18), avec pour meilleur résultat deux petites finales perdues en 1965, pour sa première participation à la compétition, et en 1990. Et pas la moindre présence en Coupe du monde avant celle de 2002. En 1990, sous l’impulsion du légendaire Claude Le Roy, sélectionneur entre 1989 et 1992, le Sénégal se hisse jusqu’en demi-finales de la CAN pour la première fois depuis 1965, après vingt-cinq ans de disette. Les Sénégalais sont quarts-de-finalistes de la CAN en 1992, 1994 et 2000, avant donc une montée en puissance pour leur exceptionnelle année 2002.
Instabilité et marionnette
Mais cette montée en puissance ne se pérennise pas. Au contraire, les années 2000 et le début des années 2010 sont catastrophiques pour un Sénégal qui ne parvient pas à se stabiliser, et qui sombre particulièrement après 2008. Suite à ses succès en 2002, le sélectionneur Bruno Metsu, dont les méthodes ont marqué le football sénégalais, s’en va entraîner dans les Émirats. Entre son départ et l’arrivée de l’actuel sélectionneur Aliou Cissé, dix hommes se succèdent sur le banc des Lions, dont sept Sénégalais. La plupart pour quelques mois, une année au mieux. Les résultats pâtissent de cette instabilité : après de nouveaux quarts de finale en 2004 et une quatrième place en 2006, le Sénégal ne va pas plus loin que le premier tour de la CAN entre 2008 et 2017. En 2008, des émeutes violentes éclatent dans Dakar après le match nul des Lions contre la Gambie, synonyme de non-qualification pour la CAN et la Coupe du monde de 2010. «Le problème du Sénégal, c’est d’avoir des entraîneurs qui n’ont jamais joué au haut niveau, analysait Abdoulaye Diagne Faye, ancien défenseur sénégalais, à la presse locale en 2017. Depuis le départ de Kasperczak (NDLR : sélectionneur polonais des Lions entre 2006 et 2008), il n’y a aucune organisation, on ne fait que tâtonner. Souvent, les sélectionneurs promettent monts et merveilles aux joueurs, mais une fois confirmés, ils font autre chose. J’ai tout le temps plaidé pour l’expertise locale, mais il faut reconnaître que nos entraîneurs ne sont pas à la hauteur.»
Le départ de Metsu marque la chute d’un Sénégal dont la belle génération est gangrénée par les frustrations. Des frustrations incarnées par El-Hadji Diouf, le « bad-boy », dont la relation et les performances avec le Sénégal dictent la décennie de galères que traversent les Lions. En 2011, au micro de RFI, il dénonce les dysfonctionnements majeurs et autres «magouilles» du football sénégalais : «C’est à cause de ça qu’on ne gagnera pas de compétition majeure, les Sénégalais au niveau africain et les Africains au niveau mondial (…) Tout le système du football africain est corrompu. La plupart des Fédérations aime l’argent du football mais pas le football.» Des propos qui lui vaudront une suspension de cinq ans de la part de la fédération sénégalaise, suspension finalement levée un an plus tard alors que les Lions bataillent pour se qualifier à la CAN 2013. Mais des propos prolongés par Demba Ba deux ans plus tard, suite à sa non-sélection pour la CAN : «Cela fait sept ans que je suis en sélection, mais je me rends compte que tout ce qu’El-Hadji Diouf disait est pure vérité, confiait-il au journal sportif sénégalais Stades. Après la publication de la liste des sélectionnés, on a plus l’impression de faire face à une marionnette qu’au coach d’une équipe nationale. Quand on voit certaines décisions dans cette équipe, on se dit que ce n’est pas Alain Giresse qui les prend.»
Les errements de cette sélection sénégalaise ont probablement gâché le potentiel d’une sélection qui a toujours eu du talent. Mais la vérité est aussi que, à part en 2002, jamais le Sénégal n’a jamais eu l’équipe pour boxer chez les poids lourds. Cette année, non seulement les Lions disposent de leur meilleure génération depuis 2002, mais aussi et surtout, ils ont à leur tête un entraîneur en qui la fédération a, visiblement, décidé de faire confiance. Aliou Cissé, capitaine des Lions quart-de-finalistes du mondial et finalistes de la CAN, incarne cette sélection et son ambition de revenir à une gloire perdue. Les planètes semblent s’aligner pour un Sénégal qui a, cette fois-ci, de vraies chances de prétendre à ce trophée qui le fuit depuis tant d’années. À moins que ce ne soit l’inverse.