LE SAVIEZ-VOUS ? BabaTouré, ANCIEN INTERNATIONAL DE FOOTBALL

«Ce que j’ai vécu comme galère, le pain ne le vivra pas dans le four du boulanger»

De la gloire à la déchéance. Ainsi pourrait se résumer la carrière de Baba Touré. L’Ancien attaquant de la Jeanne d’Arc (Ja) et de l’Equipe nationale a été pendant plusieurs années le chouchou des férus du ballon rond. Bouffi de talent, Baba était adulé notamment pour ses frasques, mais aussi et surtout pour son pied gauche magique. Aujourd’hui, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Le corps frêle, le visage émacié et les yeux rougis, retrouvé au coin d’une rue éteinte de Tally Boubess, Baba tente de rejouer, avec ses arabesques de naguère, les matchs de sa vie de footballeur. De sa vie d’homme. Tout court.

Pouvez-vous revenir sur les débuts de votre carrière en tant que footballeur ?

Après avoir été joueur de Navétanes à l’Association sportive et culturelle «Jambars» vers les années 1974-1975, je suis parti à Fatick pour intégrer l’équipe de Tandème. C’est un de mes grands du nom d’Abou Senghor qui m’avait hébergé. Après Fatick, j’ai intégré l’équipe de la Jeanne d’Arc par l’intermédiaire de Mamadou Issa Mboup dit Gutenberg, c’était en 1976. Avec cette équipe, j’ai joué et remporté la Coupe du Sénégal face à la Linguère de Saint-Louis. Je me rappelle que c’est à partir d’un corner que j’avais bien tiré, que Joseph Koto avait marqué l’unique but de la rencontre qui nous avait permis de gagner le match.

Quels sont les matchs qui vous ont le plus marqué dans votre carrière de footballeur ?

Avec la Jeanne d’Arc, je peux dire sans risque de me tromper que la finale de la Coupe du Sénégal de 1982 m’a beaucoup marqué. Je me rappelle qu’au cours de cette confrontation mémorable, j’ai dribblé du rond central à la surface de réparation. J’ai fait le 2 temps et le 3 temps qui est une astuce des grands footballeurs et Mamadou Teuw m’a fauché. Feu Jules François Bocandé qui était très en colère, a frappé l’arbitre avec sa godasse. Ce qui lui avait valu sa suspension. Après le 1er tir du pénalty que j’ai raté, l’arbitre décida que je le retire. Parce que lors du tir, il y avait un joueur du Casa -Sports dans la surface de réparation. Le deuxième tir avait été le bon et nous avions gagné. Pour ce qui concerne l’Equipe nationale du Sénégal que j’ai intégré en 1977, le match des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations de football est resté gravé dans ma mémoire. A quelques minutes de la fin de la rencontre, nous étions à égalité avec le Togo. Or, il fallait une victoire pour que le Sénégal se qualifie. Les supporteurs commençaient à quitter le stade, lorsque j’ai été traversé par un fort sursaut d’orgueil. J’ai, de façon intuitive, dit à mon coéquipier Dabo de l’Asfa de monter. A partir d’une contre-attaque savamment menée, j’ai fait un centre pour déposer la balle sur la tête de Dabo qui marqua le but qualificatif. Comme vous le savez, je n’ai pas été de l’expédition au Caire 1986, car j’étais en conflit avec certains dirigeants de la Jeanne d’Arc. Et ils avaient décidé que celui qui n’avait pas de club ne participerait pas à cette compétition.

Qu’est-ce qui expliquaient la puissance et la précision de votre pied gauche ?

Il y a certes le don de Dieu, mais je me donnais aussi à fond à l’entraînement. En plus de 2 blousons, je portais une toile pour me dégraisser, il m’arrivait aussi de renforcer mon corps à l’aide de chambres à air. En dehors des séances d’entraînement, je courais pendant des heures. Ce qui faisait que je perdais beaucoup de kilos après les entraînements pour ensuite devenir léger. Je travaillais beaucoup pour la puissance de mes pieds.

Avec le recul, est-ce que vous n’avez pas des regrets de n’avoir pas réussi dans le football, si vous voyez aujourd’hui des joueurs de foot qui gagnent des milliards de FCfa ?

J’ai entendu dire beaucoup de choses sur moi, mais j’ai été victime des nombreux maraboutages qui ont gâché ma carrière. Au moment où je vous parle, je porte encore les séquelles des maraboutages (Il ôte sa chemise pour montrer des traces de boutons sur la poitrine). Vous êtes sans savoir qu’au Sénégal, les gens sont très méchants. Lors du match contre le Casa-Sports, un grand marabout avait demandé aux dirigeants de la JA de ne pas me faire jouer, mais comme leur intérêt primait sur le mien, ils ne l’ont pas suivi. C’est depuis cette fameuse rencontre que les choses ont commencé à se gâter pour moi. J’ai fait les frais du maraboutage du Casa-Sports et des dirigeants de la JA qui ne voulaient pas que je quitte l’équipe. Il m’est arrivé de rester cloitré dans ma chambre pendant 3 mois, pour cause d’une terrible maladie qui était lié à un maraboutage. Les gens sont libres de ne pas me croire, mais ce que j’ai vécu comme galère, le pain ne le vivra dans le four du boulanger.

«Ce que Youssou Ndour me disait avant les matchs…»

Des gens qui ont peiné à réussir dans la vie et dans le football évoquent toujours le maraboutage pour se justifier. Mais d’autres vous accusent d’avoir été victime des mauvaises fréquentations ?

Il y a des choses qui relèvent de ma vie privée. Il y a des gens qui ne boivent pas, mais ils ne sont pas meilleurs que les disciples de Bacchus, car ils passent tout leur temps à mentir, à calomnier et à verser dans l’hypocrisie. Il est vrai que je bois, mais là où les autres prennent du Whisky et des bouteilles de Rosées, je ne prends que de la Bière. Cela ne veut pas dire que je suis un clochard ou un moins que rien. Je gagne bien ma vie, car chaque jour que Dieu fait, je parviens à avoir les 3 000 FCfa nécessaires pour la dépense quotidienne. En plus d’avoir un salaire de 150 000 FCfa à Guédiawaye football club, des jeunes que j’ai eus à aider par le passé me retournent l’ascenseur en me donnant chaque semaine des sommes d’argent qui me permettent de joindre les 2 bouts pour une période d’une semaine. Je ne fais pas trop de mondanités. A l’époque, je logeais à Grand-Dakar près de chez Lappa Diagne, le batteur du «Super Diamono». Je mangeais chez lui à cette période. Lappa était un JA-man, alors que Omar Pène était un Jaaraf-man. Je me rappelle un jour, le «Super Diamono» jouait au «Thiossane», lorsque je suis entré dans la salle, Omar Pène a subitement commencé à jouer le morceau qu’il a dédié à l’équipe du Jaaraf. C’était un peu pour me chambrer. Lappa était très fâché, mais il n’y pouvait rien. Je dois rappeler, dans le même sillage, que parmi mes fans, il y avait un certain Youssou Ndour. A chaque début de match, il me disait : «Grand, j’espère que tu vas marquer !» Et je lui répondais ceci : «Je n’attends que le coup de sifflet de l’arbitre pour régler le compte de l’équipe adverse.»

Quelle est votre appréciation sur la marche de l’Equipe nationale ?

Récemment, j’ai entendu un de mes ex-dirigeants s’insurger contre le silence d’Aliou Cissé. Ne dit-on pas que si la parole est d’argent le silence est d’or ? J’apprécie bien la posture d’Aliou Cissé. C’est un homme rigoureux et compétent. Au Sénégal, on parle beaucoup et on travaille peu. A la place des paroles qui ne nous mènent nulle part, je préfère de loin un entraîneur qui fait des résultats à même de hisser le football sénégalais.