Khalilou Fadiga : La CAN est toujours un moment privilégié

A 42 ans, l’ex-milieu de terrain sénégalais, Khalilou Fadiga, s’apprête à suivre de très près la CAN Total Gabon 2017. Il est présent à Libreville à double titre, en tant que membre du Groupe d’étude technique et comme ambassadeur de la CAF pour la 31ème Coupe d’Afrique des Nations. En exclusivité pour cafonline.com, il s’est dit très heureux d’être présent au Gabon pour ce qui est la plus grande fête sportive du continent. « La CAN, pour un Africain, qu’il soit Sénégalais ou autre, c’est toujours un moment très particulier, point de rencontre d’émotions et de passions, de moments de grand bonheur et d’autres de désillusions. C’est un événement où sont réunis tous les sentiments de la vie ».

Cafonline.com : A combien de CAN avez-vous participé ?

Khalilou Fadiga : Je n’en ai disputé que deux, celle de 2000 organisée conjointement par le Nigeria et le Ghana, et celle du Mali en 2002. Je n’étais pas présent à celle de 2004 en Tunisie car j’avais connu de sérieux problèmes cardiaques. J’ai donc joué un quart de finale et une finale. C’est un bon parcours sauf que lorsqu’on perd une finale aux tirs au but on ne peut pas se déclarer totalement satisfait. Mais on ne réécrit pas l’histoire.

Quels souvenirs gardez-vous de ces deux tournois ?

D’abord l’ambiance dans les stades. Il y a des vibrations uniques ; Vous êtes comme porté par les tribunes. En 2000 c’était pour moi une grande première. J’ai côtoyé de grands joueurs qui étaient déjà très connus, Jay Jay Okocha et Nwankwo Kanu; y’avait aussi Rigobert Song. La CAN vous emporte sur une sorte de nuage. C’est un mélange de puissance et de fébrilité. Et puis vous vous trouvez plongé dans la lumière. Vos supporters attendent beaucoup de vous, que vous gagnez tous vos matches, que vous soyez les meilleurs, que vous remportiez le trophée. Vous êtes un peu comme l’alpiniste qui se hisse à la force de ses bras et de ses jambes, les sommets les plus difficiles à conquérir. Parfois la tempête vous emporte.
La CAN, c’est une atmosphère spéciale, exaltante. Il faut prendre garde à ne pas s’enivrer. C’est l’atmosphère et les sentiments partagés de tout le monde.
Je dirai aussi que la CAN n’a cessé de se transformer grâce à son rayonnement médiatique. A ce que je sais, il s’agit du troisième grand événement de football après la Coupe du monde et l’Euro. Le professionnalisme dans l’organisation n’a cessé de croître.

 

Quel est le match qui vous a le plus marqué ?

La victoire contre le Nigeria (2-1 après prolongation) en demi-finale de l’édition 2002. Le match s’était mal engagé parce qu’après 34 minutes de jeu nous nous étions retrouvés à 10 contre 11 avec l’expulsion de Pape Sarr. Et puis nous avons ouvert le score une dizaine de minutes après la pause grâce à Pape Bouba Diop. Peu avant le coup de sifflet finale, Julius Aghahowa a égalisé. Au cours de la première prolongation Salif Diaw a marqué le but qui nous envoyait en finale.  Battre le Nigeria ce n’était pas rien.
Je me souviens aussi de notre quart de finale de 2000, contre le Nigeria encore ; J’avais marqué le premier but très vite, après six minutes ; Hélas, alors qu’il restait 7, 8 minutes à jouer, Julius Aghahowa nous a fusillé deux fois de suite, alors que le stade avait commencé à se vider, les supporters nigérians ayant déjà estimé que la partie était perdue pour les Super Eagles. Moralité, un match n’est jamais perdu. C’est la magie du foot.

L’autre match dont je garde de bons souvenirs est l’affrontement de quart de finale contre le Nigeria en 2000 à Lagos. C’était ma première finale d’AFCON et j’ai marqué après sept minutes. A cinq minutes de la fin, j’ai vu la plupart des fans quitter le stade et je pensais que nous étions presque qualifiés car nous menions 1-0. Puis Julius Aghahowa apparaît et a marqué deux merveilleux objectifs pour couper court à nos rêves.

La finale de 2002, c’est quand même sinon une grosse déception, au moins un regret.  

Je pense que c’est le point culminant de ma carrière. Une finale, c’est quelque chose de pas ordinaire. Rare, unique. Une défaite, cela fait mal, très mal. J’avais réussi, Ferdinand Coly aussi mais Aliou Cissé, Amdy Faye et El Hadji Diouf avait échoué. Nous savions qu’on pouvait les battre mais…les Camerounais, c’est comme les Allemands. Il y a deux équipes sur le terrain, mais à la fin c’est toujours le Cameroun qui gagne !

Et vos coéquipiers ?

L’équipe sénégalaise de 2002 a été une très bonne équipe. Quand on parle du Sénégal, on parle toujours de la génération 2002, mais tout a commencé en 2000. Au Nigeria il y avait environ cinq joueurs qui jouaient hors du Sénégal, le reste étaient des gars du pays. Non, ce n’était pas une génération spontanée. Il y avait des hommes, certains au caractère bien trempé mais il régnait une bonne entente. Les gars étaient adorables et c’est ce qui a fait notre force. De l’individualité et beaucoup de solidarité. Je remercie Dieu de m’avoir fait vivre ce que j’ai vécu avec l’équipe nationale.

Et puis il y a eu la Coupe du monde, au Japon et en Corée du Sud en 2002

J’ai eu le grand bonheur de faire partie de cette génération dorée mais sans trophée. On joue le match d’ouverture et, à la surprise de tous les observateurs et aussi des spectateurs, on bat la France, championne du monde en titre. La France, vous imaginez. L’ancien colonisateur. Ensuite j’ai marqué une fois, fait des passes. Avec Diouf et Bouba Diop, nous avons figuré parmi les meilleurs joueurs du tournoi.  On est sorti la tête haute mais sur une défaite ; Quoi qu’il en soit cela restera toute ma vie un souvenir très très fort. La différence entre l’Afrique et les autres continents, c’ est que lorsqu’une équipe africaine joue, tout le monde se range derrière cette équipe. Nous l’avons fait pour le Nigeria, le Ghana, l’Algérie, la Tunisie entre autres. Bien sûr, nous avons été déçus de ne pas être la première équipe du continent à atteindre les demi-finales de la Coupe du Monde, mais je sais que ce sont tous les Africains qui étaient dé9us. Nous étions les ambassadeurs de notre continent. Avec des équipes comme le Sénégal, le Ghana, l’Egypte, l’Algérie, j’espère qu’une équipe africaine franchira le cap dans un avenir pas trop lointain.

Quelle est votre opinion sur l’équipe actuelle du Sénégal. Que peut-elle réussir au Gabon ?

L’équipe actuelle du Sénégal est bénie avec des joueurs qui ont un gros potentiel. Cependant, vous ne pouvez pas comparer le football de 2002 et maintenant. A notre époque, les Egyptiens étaient au sommet, et nous les avons battus. Nous avons également battu d’autres équipes comme l’Algérie et le Maroc. De plus, nous avions des joueurs qui jouaient au plus haut niveau, mais la couverture médiatique n’était pas ce qu’elle est devenue. En outre, la plupart des joueurs étaient basés en France, mais la majorité de nos expatriés sont en Angleterre, que beaucoup considèrent comme le meilleur championnat de la planète. Cela change les caractéristiques. De mon temps il y avait une technique qui était en totale harmonie avec notre style de jeu. Au Sénégal on regrette de ne pas avoir actuellement un chef d’orchestre. Le football a changé ; Nous avons aujourd’hui des entraîneurs de qualité, Aliou Cissé, Lamine Diatta et Omar Daf, un Président de la fédération, Augustin Senghor, très impliqué dans le soutien aux joueurs, aux techniciens. Peut-être pouvons-nous leur apporter un petit plus avec notre expérience.

Les deux dernières participations du Sénégal aux CAN 2012 et 2015 ont été un fiasco, surtout celle d’il y a deux ans, trois matches joués, trois défaites alors qu’on avait fait des Lions de la Teranga les favoris.

Cela, d’après moi est dû à des problèmes techniques. Il y avait des entraîneurs qui sont partis au milieu de la campagne, quelque chose qu’Aliou Cissé ne fera jamais parce qu’il est plus sénégalais que vous pouvez imaginer. Il est tellement fier d’avoir joué dans la finale d’une CAN. Il attend de retrouver une seconde chance, cette fois comme entraîneur. Il a la qualité technique et a l’expérience pour.

Vous avez des favoris ici au Gabon ?

J’espère que ce sera un grand tournoi et que la meilleure équipe l’emportera. Ce serait fantastique que ce soit le Sénégal. Nous avons de grands joueurs, un bon entraîneur, de grands fans et tout le pays attend avec impatience ce moment. Maintenant, les joueurs sénégalais sont reconnus en Italie, en France, en Angleterre et en Espagne. Ils doivent nous prouver qu’ils ne sont pas au Gabon pour passer un bon moment, mais qu’ils ont une farouche volonté de décrocher le trophée. Il va falloir se méfier de l’Algérie, du Cameroun, du Gabon chez lui ; en réalité de tout le monde. Il faut se méfier de trop de certitudes. Je suis bien placé pour vous dire que la CAN est une compétition-piège par excellence.