Equipe Nationale – Aliou Cissé : «Il y’a un facteur chance qui nous fuit depuis 2002»

Mars 2015, mars 2019, Aliou Cissé boucle quatre ans sur le banc de l’équipe nationale A de football du Sénégal. Son tableau de chasse est bien fourni, avec 41 matches, dont 24 victoires, 12 matches nuls, 5 défaites, 64 buts marqués contre 24 encaissés. Ce bilan, Aliou Cissé en est fier, même s’il n’a pas encore atteint le graal. Dans cet entretien exclusif accordé à Mamadou Ndiaye de la Tfm, le sélectionneur national revient sur le travail effectué durant quatre ans, l’objectif à la Can 2019, son contrat, les détails qui perdent les «Lions».

Le bilan des quatre ans sur le banc

«Je rends grâce à Dieu et mes parents. Les résultats sont là, vous avez vous-même donné les statistiques qui parlent d’elles-mêmes. C’est le fruit du travail et de la volonté divine aussi. Nous croyons au travail et nous y sommes depuis 2015 et les résultats suivent. D’ailleurs, je peux dire que c’est à cause de ça qu’on m’a choisi. Je voulais signer quatre ans, parce que l’objectif était de mettre l’équipe nationale dans un processus. Nous y sommes depuis 2015. Nous nous sommes qualifiés pour la Can 2017 où on s’est malheureusement arrêté en quart de finale par l’équipe qui sera championne. Nous nous sommes également qualifiés à la Coupe du monde où nous n’avons pas été ridicules. Il faut rendre grâce à Dieu pour tout ça. Entre-temps, nous avons permis à de nouveaux jeunes d’intégrer l’équipe. Aujourd’hui, nous sommes à la première place du classement Fifa au niveau africain. Et là, nous préparons la Can 2019 avec beaucoup de sérénité et beaucoup de calme, parce qu’on en a besoin.»

Le contrat jusqu’en 2021, un record sur le banc de l’équipe du Sénégal

«Ce n’est pas un record, parce que Claude Leroy a fait quatre ans. Peut-être que je suis le deuxième. Ce que je crois, c’est de travailler dans le moyen et long terme parce que le football est indécis. Pour mettre une bonne équipe, il faut avoir du temps. Quand Augustin Senghor m’a appelé pour me dire qu’ils veulent me confier l’équipe, je lui ai dit que je souhaite signer pour quatre ans pour pouvoir mettre en place toutes les idées que nous avons. Sans le temps, on ne peut pas construire quelque chose de solide. Nous sommes en train de mettre en place ces fondamentaux et nous prions Dieu de nous aider à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.»

Le débat sur le fond de jeu

«On parle de football de haut niveau. Quoi qu’on puisse dire, ce qu’on retient après, c’est le résultat. Il ne faut pas leurrer les Sénégalais, ce qu’ils veulent, c’est gagner des titres. Après, je ne peux pas tout le temps débattre sur le fond de jeu, c’est un sujet vaste. On est en Afrique avec nos mentalités. La chance que j’ai, c’est d’avoir joué en équipe nationale pendant 4 à 5 ans. Donc, je connais les réalités et je sais que jouer en Afrique, ce n’est pas facile. Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en considération et le fond de jeu a une part très insignifiante. Jouer en Afrique, c’est une question de mentalité, d’état d’esprit, être prêt à voyager dans des conditions difficiles, jouer dans des terrains difficiles. C’est pourquoi, si on veut faire la comparaison avec ce qui se fait en Europe, on fait fausse route.»

L’identité de jeu du football sénégalais

«On a eu cette discussion autour de l’identité de jeu du football sénégalais. Il faut savoir que ce n’est pas à moi de décliner cette identité de jeu. Je ne suis que le sélectionneur national, même si c’est vrai que je dois faire partie de ceux qui doivent décliner cette identité. Effectivement, si on voit une équipe brésilienne jouer, on sait que ça c’est l’identité de jeu du Brésil. Les Anglais sont adeptes du jeu long, du deuxième ballon dans les années 90. Les Allemands aussi ont leur identité de jeu. Pour autant, la France est deux fois championne du monde et personne ne peut vous dire quelle est l’identité de jeu de la France. C’est vrai qu’une identité de jeu, ça peut se préparer, avoir une mentalité et aussi former les joueurs dans les secteurs clés pour avoir un jeu alléchant. Il faut aussi avoir les joueurs pour jouer le style de jeu que nous voulons. On y travaille petit à petit, nous avons des types de joueurs qui commencent à se distinguer. Nous pouvons espérer avoir un jour une identité de jeu avec la possession du ballon, jouer à partir de derrière, faire des passes, des rétro-passes. Après, toute la finalité, c’est gagner, le résultat. Jeu long, contourner, possession…la finalité, c’est gagner. Maintenant, il y a des domaines où nous, Sénégalais et Africains, sommes forts, c’est le volume de jeu, la vivacité, l’attaque rapide, l’impact pour récupérer le ballon, pour attaquer, ça il faut qu’on le garde. En Europe, pour sélectionner un Africain, on met en avant ces critères. On ne peut pas continuer à copier. Par moments, il faut rester sur nos atouts. Il ne faut pas nourrir de complexe par rapport à ce que nous sommes. Cela n’empêche pas de copier ce qui est bon chez les autres.»

Gagner la Can 2019, la mission assignée par la Fsf

«La ‘’Tanière’’ est animée par la sérénité, le travail et la lucidité. Nous voulons bien sûr aller gagner cette coupe, mais nous allons trouver des équipes qui viennent aussi pour la gagner. Mais c’est clair que le Sénégal peut espérer, parce que nous sommes dans un processus depuis 2015 et beaucoup de choses se sont passées entre-temps. On a connu de bons moments, de la frustration, la déception, mais cela ne nous empêche pas de continuer à travailler. Quand je prenais l’équipe, même quand on jouait contre le Botswana, on avait peur. Aujourd’hui, le Sénégal a une équipe qui n’a peur d’aucun adversaire.»

Le faible mental des équipes du Sénégal

«Le mental est toujours important dans le football. Mais il faut savoir que si nos joueurs sont arrivés à un certain niveau, c’est parce qu’ils ont un mental fort. Aujourd’hui, on retrouve des joueurs sénégalais dans tous les grands championnats européens. Nous avons le mental. Ce qui nous fait perdre, pour moi, ce n’est pas une faiblesse au niveau mental, mais plutôt des détails liés à l’expérience. C’est pourquoi, c’est important d’être réguliers et d’acquérir de l’expérience. Il faut toujours apprendre de nos déceptions et de nos victoires. Je suis convaincu que mes joueurs ont le mental de gagner. On a gagné des matchs que, il y a quelques années, ont aurait perdus. Notre problème, c’est qu’il y a un facteur chance qui nous fuit depuis 2002. A chaque fois qu’on est près du but, on se loupe. Pour moi, ce n’est pas un problème de mental seulement, mais une globalité. Pour arriver à tuer le chat noir, il nous faut du vécu et de l’expérience. La dernière fois qu’on a été en finale de la Can, c’était en 2002. De 2002 à nos jours, regardez nos résultats. Pour arriver à nouveau en finale, il faut un travail sérieux dans le temps. Je suis convaincu que l’équipe a atteint une certaine maturité. En 2011, quand j’intégrais la Direction technique, tous les joueurs de l’équipe nationale actuelle étaient jeunes. Aujourd’hui, ce sont des hommes dans leur réflexion, dans leur manière de s’entraîner, de jouer, d’approcher les matchs. C’est le temps et l’expérience qui permettent d’acquérir ça.»

La polémique sur la sélection de Kobaly Ndiaye et Krépin Diatta

«Il faut savoir que la Direction technique nationale est très sérieuse. Entre nous, il y a toujours des concertations. C’est Mayacine Mar le Directeur technique, et chaque 6 mois, il réunit tous les entraîneurs pour échanger. Nous l’avons fait plusieurs fois. Ce qui s’est passé avec l’histoire de Kobaly et Krépin, pour moi, il n’y a pas lieu de polémiquer. Avant de sélectionner Krépin Diatta j’ai rencontré Joseph Koto et je lui avais fait savoir que j’allais sélectionner Krépin. A partir de ce moment, il n’y a pas lieu de polémiquer. Je lui ai aussi parlé de Kobaly. Ce n’est pas un débat, parce qu’il y a des choses beaucoup plus importantes.»

Le choix des 23 pour la Can

«J’ai une idée dans la tête. Aujourd’hui, je connais le noyau du groupe. Entre mars et mai, il peut se passer beaucoup de choses. Je ne peux pas dire, aujourd’hui avec certitude, que je connais le groupe qui ira à la Can, mais l’ossature, tout le monde peut l’identifier. C’est ça la cohérence du travail que nous effectuons depuis trois ans.»

La Can, le pays organisateur favori

«Je ne crois pas à ça. Dans le football d’aujourd’hui, chaque équipe peut aller gagner n’importe où. On ne peut pas dire que l’Égypte va gagner parce qu’elle organise. Si c’est ça, autant ne pas y aller. Le seul facteur que l’Égypte aura de plus, c’est peut-être le public. Pour moi, tout ça n’est pas important. Nous allons nous préparer, être confiants et avoir un esprit positif. Nous nous préparons pour la victoire à chaque fois que nous allons dans une compétition. Nous sommes des gagneurs. Nous allons préparer l’équipe mentalement et dans tous les aspects. Je suis convaincu qu’on peut réaliser quelque chose de bien en Égypte.»

La relation avec la presse

«Je suis là, je suis disponible. Je n’ai aucun problème avec les journalistes. C’est quand je suis arrivé en équipe A que j’ai commencé à avoir des problèmes avec la presse, mais quand j’étais chez les Olympiques tout était ok. Je comprends que l’équipe A est spéciale. Je suis venu avec ma vision, fait de mon expérience en tant que joueur et du regard de l’extérieur que j’avais de cette équipe. Si je refais les mêmes erreurs que mes prédécesseurs, ça veut dire que je n’ai pas appris des erreurs du passé. Je suis le premier à aller voir la presse pour des concertations parce que ce sont des collaborateurs. Je communique quand c’est nécessaire. Maintenant la presse peut me reprocher de ne pas communiquer à son rythme.»