El Hadj Diouf : «Sadio et moi sommes la preuve que le rêve est permis pour tout le monde»

Premier Sénégalais à remporter le Ballon d’Or (2001 et 2002), El Hadji Diouf est rejoint au pinacle par son compatriote Sadio Mané. «L’Obs» a invité l’enfant de Balacoss (Saint-Louis) à comparer le triomphe du fils de Bambaly au sien.

Sadio Mané est sacré Ballon d’or Caf 2019…

Le football nous a souvent gardé des surprises. Mais cette année est la bonne pour Sadio Mané. On croyait l’année dernière (Ballon d’or 2018) qu’il allait remporter le trophée à Dakar devant sa famille, ses amis et son peuple. Le Bon Dieu en avait décidé autrement. 2019 a été son année. Il a été meilleur que Salah et son adversaire direct, Mahrez, ne joue pas beaucoup avec son club. Après une saison extraordinaire, Sadio a mis tout le monde d’accord.

Ce Ballon d’or remporté par Sadio aura-t-il la même saveur que votre premier sacre en 2001 ?

Pour un joueur, gagner le Ballon d’Or est quelque chose d’extraordinaire. Sadio et moi, en avions parlé au Ghana, il y a trois ans. Je lui avais : «Tu peux tout faire dans ta vie, mais si tu ne gagnes pas le Ballon d’or, tu auras échoué.» Beaucoup de joueurs ont gagné la Coupe d’Afrique ou la Coupe du monde, mais ne seront jamais un El Hadji Diouf ou Messi ou demain un Sadio Mané. Ce trophée individuel nous confère cette grandeur. Mon ami, Jay-Jay Okocha n’a pas été Ballon d’or ! Qui l’aurait cru ? Deux choses sont très importantes : le premier à le gagner et la première fois qu’on l’a remporté. Cette joie-là, rien ne peut la remplacer. Après ça devient de la routine. Mais on est toujours tenté de le refaire pour répondre aux détracteurs et confirmer sa force mentale, en montrant au monde entier qu’on est incontestablement le meilleur.

Le Ballon d’Or change-t-il la vie du footballeur ?

Bien sûr : c’est pour cela qu’on vous appelle une légende. Il entre après dans la cour, pas des grands, mais des très grands. C’est un cercle restreint. Avant nous, des légendes que nous n’avons pas vu jouer, comme Salif Keïta, ont remporté le Ballon d’Or. Demain, les générations futures parleront de Sadio Mané. C’est ce que j’ai légué à la postérité. Quand j’ai remporté pour la première fois ce trophée, il n’y avait aucun Sénégalais sur le podium à l’époque. Avec tous les grands joueurs qui sont passés ici, c’était anormal que le Sénégal n’ait pas son Ballon d’Or. J’ai voulu rétablir une injustice en le gagnant pour mes grands frères : les Jules François Bocandé, Thierno Youm, Roger Mendy, Guèye Sène, Moussa Ndaw. Tous ces grands joueurs qui sont passés par là et qui n’arrivaient pas à titiller les grands. J’avais envie d’aller le chercher pour eux.

Comment gère-t-on l’après Ballon d’or ?

Il ne faut jamais se contenter du premier. Je ne m’en étais pas contenté. Sadio Mané doit garder sa forme du moment, jusqu’à l’année prochaine, montrer qu’il est le Ballon d’Or, le porte-drapeau de l’Afrique. Le meilleur.

Sur le plan purement footballistique, qu’avez-vous en commun ?

(Rire) l’amour pour le maillot national. Maintenant que je suis dans la Tanière, je discute beaucoup avec lui. Il a énormément d’estime à mon égard, la preuve par ses paroles élogieuses. Sur le plan footballistique, je laisse le soin aux spécialistes d’en débattre. Mais il n’y a pas de comparaison possible, les époques ne sont pas les mêmes. J’ai fait mon temps, me suis amusé et j’ai donné du plaisir aux gens. Il n’y a que cela que les gens retiennent après le football et c’est ce que Sadio Mané est en train de faire : écrire sa propre histoire.

En valeur intrinsèque, El Hadji Diouf se voit-il à travers Sadio Mané ?

Oui parce que c’est un garçon très talentueux. Tout le monde joue au football, mais très peu de footballeurs sont talentueux. Aujourd’hui, je suis fier d’avoir légué à un très grand joueur, le flambeau du Ballon d’or, le deuxième sénégalais.

Vous êtes, tous les deux, partis de rien pour arriver au sommet…

Nous avons montré que la réussite n’est pas faite seulement pour les gens qui mangent avec une cuillère en or. Il faut avoir faim, croire en soi, pour y arriver. C’est un bel exemple pour la jeunesse sénégalaise et africaine. Le rêve est permis pour tout le monde. Après moi, Sadio Mané est en train de le montrer. Le président de la République, Macky Sall, est de cette lignée. Nous n’avons pas besoin de regarder ailleurs, les exemples sont ici : nous sommes partis de rien, personne ne croyait en nous, mais aujourd’hui, les gens sont contents de nous voir parce que nous les avons fait rêver.

De l’anonymat à la célébrité, comment se fait le basculement ?

C’est dans la tête. Le président de la République, bien qu’il soit la personne la plus importante du pays, gère l’émotion. El Hadji Diouf, pareil. Quel que soit le statut, on ne sera qu’un être humain. Il faut transformer le statut de star en quelque chose de positif pour aider son prochain, les générations futures.

El Hadji Diouf – Sadio Mané nous ramène-t-il au débat Maradona – Messi en Argentine des stars aux antipodes : l’un extraverti, l’autre introverti ?

Sadio une star qu’on n’entend pas beaucoup. Pour certains, cela lui porte préjudice. Mais c’est son choix. Chacun a son choix de vie. El Hadji Diouf, Maradona et Messi sont comme ils sont. Le plus important est de juger la personne sur ses résultats. Pas autre chose. El Hadji Diouf n’est pas une star, mais une Superstar ! La star n’est connue que dans son pays, la superstar est mondialement connue ; Youssou Ndour, El Hadji Diouf et aujourd’hui Sadio Mané. On ne boxe pas dans la même catégorie que les stars. Ce que je dis au Sénégal a un écho retentissant dans le monde. C’est différent des gens dont la parole ne dépasse pas nos frontières. Aujourd’hui, Sadio Mané est une superstar, un «Golden Boy». Il est mondialement connu. Il est dans la galaxie des très grands : Senghor, Abdoulaye Wade, Macky Sall, Cheikh Anta Diop, Mamadou Dia, El Hadji Diouf, Youssou Ndour…

Sadio dit souvent que vous avez été son idole : mais aujourd’hui, avec un titre de champion d’Europe, meilleur buteur de la Premier League, quatrième au Ballon d’Or européen et sacré Ballon d’Or africain, l’élève n’a-t-il pas dépassé le maître ?

C’est tout le mal que je lui souhaite. L’élève est en train de tracer sa route. Tout ce que je lui souhaite, c’est de dépasser le maître. Mais je ne suis pas dans les comparaisons. Mon rôle aujourd’hui est de l’accompagner pour être le meilleur joueur sénégalais de tous les temps. Je ne suis pas à une place de concurrent, mais à celle de celui qui doit l’accompagner pour qu’il soit le meilleur. Quand on parlera de Sadio Mané, on parlera toujours de El Hadji Diouf. Pour lui comme pour moi, le plus important, c’est le plaisir donné au peuple sénégalais.