Au Sénégal, le monde du sport salue Lamine Diack, accusé de corruption par la justice française

Soupçonné d’avoir étouffé des cas de dopage russes en échange de pots-de-vin, l’ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme risque jusqu’à dix de prison.

« Diack face à son procès, complot », « Vers le renvoi du procès »… Lamine Diack, ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), fait la une de plusieurs journaux sénégalais ce lundi 8 juin. L’homme de 87 ans comparaît devant la justice à Paris, soupçonné d’avoir étouffé des cas de dopage russes en échange de pots-de-vin et d’avoir détourné de l’argent de l’IAAF. Arrêté en 2015 en France, il risque jusqu’à dix de prison pour « corruption », « blanchiment en bande organisée » et « abus de confiance ». Interdit de sortie de territoire, Lamine Diack n’a pas pu remettre les pieds au Sénégal depuis cinq ans.

Une « cabale » qui indigne Momar Mbaye, ancien président de la Fédération sénégalaise d’athlétisme (FSA). « Il doit rentrer chez lui. Je le connais bien, il reviendra s’il est convoqué en France, assure celui qui lui a déjà rendu visite à Paris. Il n’y a aucune raison qu’on retienne une personne de son âge. Le Sénégal lui manque, il est très attaché à son pays.

Une certitude répétée par ses proches, qui présentent l’homme comme le contraire de son fils, Pape Massata Diack, lui aussi inculpé dans cette affaire et réfugié au Sénégal, mais qui fait la sourde oreille aux convocations de la justice française. Ex-conseiller marketing de l’IAAF, il est soupçonné d’avoir perçu des commissions occultes en marge de contrats de sponsoring et de droits télé. Pape Massata Diack avait déjà été arrêté pour avoir détourné des fonds provenant de la participation du Sénégal à la Coupe du monde de football, en 2002.

Champion de France de saut en longueur
Si les acteurs de l’athlétisme au Sénégal présentent Lamine Diack comme un homme influent qui fait la fierté du pays et du continent, « il n’est pas exempt d’un procès équitable », selon Pape Demba Ndior, secrétaire général de la Ligue d’athlétisme de Dakar. « Peut-être n’est-il pas blanc comme neige mais je respecte l’homme. Le procès doit avoir lieu s’il a fauté, mais les conditions sont difficiles et humiliantes pour celui qui a tant accompli pour le sport et l’athlétisme au niveau mondial », estime l’ancien athlète, qui attend avec impatience le délibéré. « Au Sénégal, quand on a 50 ans, on connaît forcément Lamine Diack », sourit-il.

Durant plus d’un demi-siècle, l’homme a cumulé les responsabilités politiques et sportives. A l’origine inspecteur des impôts, Lamine Diack est athlète depuis son plus jeune âge. Il a même obtenu le titre de champion de France de saut en longueur en 1958, avant l’indépendance du Sénégal. Footballeur aussi, c’est d’abord avec le ballon rond qu’il a fait bouger les lignes, « en développant des clubs forts », détaille Pape Demba Ndior, qui le présente comme « un monsieur omnisports ».


Lamine Diack se concentre ensuite sur l’athlétisme : président de la FSA, membre fondateur de la Confédération africaine d’athlétisme (CAA), président de l’IAAF de 1999 à 2015, membre du Comité international olympique… Sans compter ses casquettes politiques de secrétaire d’Etat chargé des sports, député, vice-président de l’Assemblée nationale ou maire de Dakar.

« Lamine Diack a créé beaucoup d’opportunités pour les athlètes africains, avec l’ouverture de centres d’entraînement sur tout le continent. Il a restructuré l’athlétisme grâce à la formation d’entraîneurs, d’officiels et de techniciens », énumère Amadou Gakou, ancien athlète qui a participé plusieurs fois aux Jeux olympiques, dont ceux de Mexico en 1968, et détient le record sénégalais du 400 mètres. « Il a aussi inauguré la première piste synthétique d’Afrique de l’Ouest au stade Iba-Mar-Diop de Dakar », ajoute l’ancien sportif, aujourd’hui âgé de 80 ans. Mais son apport au sport venait aussi de « sa grande capacité à analyser les résultats », selon Momar Mbaye, qui estime que le niveau de l’athlétisme a baissé depuis qu’il est parti.

« L’Etat doit être plus présent dans ce dossier »
Développer le sport sur le continent était l’une de ses préoccupations. « Il est reconnu pour son patriotisme et son africanisme », ajoute Momar Mbaye. « Grâce à Lamine Diack, nous avons eu des champions. Il a su redonner au sport africain sa véritable place, notamment au sein de l’IAAF », assure Jean Gomis, secrétaire général de la FSA et ancien athlète qui a été aidé par Lamine Diack lui-même. Resté proche du monument de l’athlétisme sénégalais, Jean Gomis se dit surpris et choqué par les accusations portées contre Lamine Diack. « La plupart des Sénégalais le soutiennent, assure-t-il. L’Etat et nos dirigeants devraient être plus présents dans ce dossier. »

Malgré tout, « il garde le moral », assure Amadou Gakou. L’ancien athlète est allé rendre visite à Lamine Diack dans l’appartement d’un de ses fils, à Paris : « Il est confiant et croyant, Dieu décidera pour lui. »

Le Monde