Antoine Griezmann : «J’ai même demandé à Godin de me ramener un maillot d’Edinson Cavani»
Influencé par de nombreux Uruguayens, de son premier entraîneur en pros à certains de ses actuels coéquipiers de l’Atlético de Madrid, l’attaquant français revendique sa passion pour la Celeste. Et pour une certaine idée du jeu.
Modelé au football par l’Espagne, Antoine Griezmann revendique aussi une culture du jeu plus âpre. Sud-américaine. Un football dur, engagé, qu’il a appris à aimer au contact de ses coéquipiers uruguayens en club. Lors d’un entretien pour Le Magazine L’Équipe voilà un an et demi, il s’était confié à ce sujet, mais cette partie de la discussion n’avait pas été entièrement publiée. Voici ces extraits d’une étonnante actualité, à la veille du quart de finale entre l’Uruguay et la France.
«Vous tweetez régulièrement des messages de soutien à vos coéquipiers uruguayens. D’où vous vient cet attachement si particulier avec ce pays ?
Ça a commencé à la Real Sociedad. Le premier coach qui a fait appel à moi pour débuter en pros (en 2009), Martin Lasarte, était uruguayen. Et quand j’ai commencé en équipe première, il y avait un autre attaquant uruguayen, Carlos Bueno, qui débarquait aussi au club. On s’est naturellement rapprochés l’un de l’autre. On jouait tous les deux devant. Souvent il me ramenait de l’entraînement ou passait me chercher le matin. Je n’avais pas de voiture à l’époque. Il y avait aussi un Colombien, Jonathan Estrada. Je me suis rendu compte qu’ils étaient différents de nous. Ils ne se prenaient pas la tête. Toujours le sourire. Estrada, même s’il ne jouait jamais, restait de bonne humeur alors que je venais de lui piquer sa place. Forcément, les liens se sont tissés.
Votre habitude de boire du maté, est-ce aussi l’influence de Carlos Bueno ?
Oui, il m’invitait souvent à dîner chez lui, on regardait parfois des matches de son équipe, le Peñarol Montevideo, et on buvait du maté. C’était un grand frère. Il avait près de 30 ans et moi 17, 18. (Ils ont en réalité onze ans d’écart.) Il faisait tout pour que je me sente bien. Parfois, je dormais chez lui. Sa culture s’est inscrite en moi tout naturellement. Il m’a appris aussi tous les chants des fans de Peñarol. Je me souviens à l’Atlético d’avoir invité Diego Godin et quelques autres gars à venir passer le 31 décembre à la maison à Madrid et on avait chanté à la gloire du Peñarol. J’adore les chants de supporters, d’où qu’ils viennent. Je vais souvent sur YouTube regarder les choeurs en tribunes.
«On se prend trop la tête en Europe. On complique tout»
Vous auriez pu devenir basque de coeur après avoir passé près d’une décennie à la Real Sociedad (2005-2014), voire espagnol à force d’y vivre. En fait, vous voilà revendiquant l’âme uruguayenne…
Je me sentais bien avec les Basques aussi, comme Mikel Labaka, Mikel Aranburu, Xabier Prieto et tant d’autres. Mais tout ne s’explique pas. J’avais une attirance pour les rythmes musicaux latinos, et surtout leurs sourires. Ça m’a marqué. On se prend trop la tête en Europe. On complique tout. On passe notre temps à se plaindre ici. Eux savent que les leurs vivent dans des maisons de tôle et qu’à la moindre tempête, le toit peut s’envoler. Ils sortent de ces quartiers. Ils ont une autre approche de la vie. Ils profitent. Ils sont joyeux. Ils ne se plaignent jamais et, sur le terrain, ils donnent tout.
A Madrid vous êtes allé assister à un concert de Lucas Sugo, un chanteur uruguayen.
Je l’ai connu par le même réseau de joueurs. Le concert a eu lieu dans un collège, on n’était même pas cent spectateurs. Que des Sud-Américains. C’était le top. J’y suis allé avec Erika (sa femme) et aussi Diego Godin et son épouse. C’était le top. C’est de la variété douce, des chansons d’amour. Mais il y a une sonorité musicale différente, on sent qu’on est de l’autre côté de l’Atlantique. On y trouve des influences plus joyeuses de cumbia aussi. C’est une musique qui traverse les frontières là-bas. C’est rythmé, j’en écoute souvent à la maison ou juste avant les matches.
Revenons au football. Que vous ont apporté les Sud-Américains ?
Bueno m’a rendu plus malin. Sur mes déplacements dans la surface, mon sens du but, mon timing et la manière de bien me positionner face au défenseur pour prendre le ballon de la tête, malgré une taille très moyenne (1,75m). Lui, il était trop fort dans la surface. On faisait aussi des tennis-ballons et, chaque fois qu’il reprenait la balle de la tête, ça faisait point. Je l’ai copié et ça a fini par payer.
En quoi votre football s’est-il imprégné de ce supplément d’âme sud-américain ?
J’ai le sang chaud. Sur une action, je peux aller gueuler sur l’arbitre. Ou contre le défenseur qui m’a taclé. Je peux aller invectiver le public pour qu’il nous soutienne plus fort. Des fois, à l’Atlético, je vois débarquer des petits jeunes, un peu mous, on dirait qu’ils n’ont même pas envie de s’entraîner. Ça m’énerve ça… Ce n’est pas ma culture.
«J’ai longtemps eu comme avatar sur WhatsApp le drapeau de l’Uruguay»
Vous leur rentrez dedans ?
Je bouillonne et, quand je n’en peux plus, oui, ça sort. Après l’Euro 2016, en prépa d’avant-saison, comme j’étais arrivé le dernier, j’ai bossé avec les jeunes et, l’après-midi, on faisait des jeux avec les 18-20 ans. À un moment, je me suis arrêté et j’ai dit au préparateur physique. « Lui, là, tu le renvoies à la douche, ça sert à rien qu’il vienne ! » Deux minutes après, le gamin, c’était un des meilleurs à l’entraînement. Le manque d’envie, c’est un truc que je déteste. Moi, gamin, j’étais prêt à mourir sur un terrain, à tacler dans la boue, à aller chiper des ballons pour que les coaches voient que j’ai la hargne pour être dans l’équipe. Là, les jeunes, il y en a qui passent devant le vestiaire pro, le survête dans les chaussettes, la casquette à l’envers. Le gars, il joue même pas en réserve et il ose passer comme ça devant notre vestiaire. C’est comme ça, maintenant. Ça, c’est pas sud-américain du tout.
En France, on n’a pas tout de suite décelé cette part latino. On vous a longtemps dépeint comme « made in Spain ».
Un jour, où j’allais devoir me frotter à Weligton, un défenseur de Malaga dur sur l’homme, Martin Lasarte, mon coach de la Real, m’avait donné ce conseil : « S’il commence à te faire chier, tu prends une poignée de gazon, tu lui jettes à la figure et tu lui dis : mange-le ! » Sur le premier tacle, j’ai fait comme m’avait conseillé le coach. J’ai même dû en rajouter dans les mots. Ça m’a libéré.
Vous êtes-vous surpris ce jour-là ?
Ah oui ! C’était pas moi, ça. Je suis plutôt tranquille et je venais d’arriver dans l’équipe première en plus. Ce n’était pas le moment de faire le malin. J’aime désormais avoir ce côté-là. Je ne dis pas que j’en suis fier, mais c’est bon d’être habité par cette rage. Lasarte m’a beaucoup aidé à grandir. Parfois, il m’invitait à venir manger des pâtes chez lui et on parlait. Il s’investissait avec moi.
Vous êtes capable de vous lever la nuit pour supporter l’équipe d’Uruguay mais vous n’êtes jamais allé dans ce pays.
Quand on est en vacances, c’est l’hiver là-bas. Et ça, ça freine. T’as envie de soleil. Et quand c’est la trêve hivernale, je veux aller aux States voir des matches de NBA. Mais un jour, j’irai, c’est sûr. Déjà, j’ai appris grâce à Diego Godin (le défenseur de l’Atlético) comment bien cuire ma viande. Il m’a fait acheter un barbecue comme chez lui. Tu mets la viande presque à plat, mais le feu n’est pas en dessous. Il est sur un côté. C’est juste la braise qui vient tomber en dessous de la plaque.
Après l’équipe de France, vous êtes donc un vrai supporter de la Celeste, la sélection uruguayenne.
Oui, j’ai tellement d’amis qui y jouent. J’ai même demandé à Godin de me ramener un maillot de Cavani. Je l’ai eu. (Il sourit.) J’ai longtemps eu comme avatar sur WhatsApp le drapeau de l’Uruguay.
Vous êtes fan d’une sélection qui prône le défi physique et la rigueur défensive…
J’aime quand tout le monde attaque et défend. Que ce soit Suarez ou Cavani, ils viennent toujours harceler leurs adversaires quand le ballon est perdu. Ils taclent pour récupérer le ballon. J’adore ça.»