Souleymne Camara : «Sadio Mané peut encore mieux faire»

A 36 ans, la courbe de ses statistiques est certes déclinante, mais le meilleur buteur de tous les temps de Montpellier en Ligue 1 (52 buts) perpétue davantage sa réputation de roi des extras, pour entrer un peu plus dans l’histoire de la Ligue 1. Il en parle ici avec détachement, livre quelques secrets et prodigue de judicieux conseils à la jeune génération. Sans esbroufe.  

Qu’est-ce qui vous a poussé à prolonger d’un an votre contrat à Montpellier après 12 saisons dans ce club ?

La passion et l’envie m’ont poussé à prendre cette décision. Depuis tout petit, je rêvais d’être professionnel. Dieu merci, j’ai réalisé ce rêve. J’en profite. Je continue à prendre du plaisir. Mais si l’on m’avait dit au début que j’allais passer treize ans à Montpellier, je ne l’aurais pas cru. Venu juste pour un prêt d’un an, me voilà à ma 13ème année ici.

A 36 ans, est-ce que vous vous êtes posé des questions avant de prolonger votre contrat ?

Franchement, je ne me suis pas posé la question de savoir si je dois arrêter ou pas. Le jour où mon corps me dira : Souleymane, tu n’en peux plus, j’arrêterai. «InchaAllah».

Vous ne vous fixez aucune limite…

Pourquoi se fixer des limites. La preuve : à 41 ans, mon coéquipier et ami, Victorino Hilton, joue encore au football. C’est notre capitaine. L’âge, oui ! Mais quand on est sérieux et qu’on fait attention à plein de choses et qu’on est épargné par les blessures, on peut continuer à prendre du plaisir.

Le football d’aujourd’hui ce n’est pas que prendre du plaisir. Vous faites ce métier pour relever des défis. Après avoir été champion de France en 2012, quel autre challenge est devant vous en tant que footballeur ?

Quand on est compétiteur, on a toujours envie de gagner : remporter des trophées, marquer des buts et délivrer des passes décisives. Je suis toujours animé par ce même désir.

Etes-vous capable de vous en donner les moyens…

Avec l’expérience, on fait attention à beaucoup de choses qu’on faisait inutilement. On ne court plus n’importe comment. On fait les courses au bon moment. J’ai eu cette expérience. Sur le terrain comme en dehors, on est aussi plus exigeant avec soi-même. On prend la décision, soit de passer à côté, soit de faire les efforts inhérents à la pratique du sport de haut niveau : éviter les sorties, de manger n’importe quoi… De plus en plus, on a besoin de manger sain et de bien dormir.

Depuis un certain temps, on vous colle le surnom de «super sub». Le fait de sortir du banc pour délivrer ses partenaires, c’est une spécialité ?

Non ! Je n’aime pas ce terme de super sub. Ça veut dire quoi ? J’aime ce métier. Je le fais avec amour. Quand je rentre, je ne me pose pas de questions. C’est vrai, quand on est compétiteur, on a envie de démarrer tous les matches, mais ce choix revient à l’entraîneur. Je me prépare à chaque match, quand on fait appel à moi, je fais de mon mieux pour être utile : marquer ou faire marquer. Etre décisif.

A votre titre de meilleur buteur de l’histoire de Montpellier, s’ajoute le record du premier footballeur à marquer au minimum un but pendant 15 saisons d’affilée en Ligue 1. Vous laissez aussi une empreinte en Ligue 1…

On fait ce métier pour gagner des titres et battre des records. Cela fait plaisir. Mais le plus important pour moi, c’est d’être sur le terrain et de me donner à fond.

«Romario et Weah étaient mes références»

C’est quoi le plus difficile entre bien débuter un match et réussir son entrée en tant que remplaçant ?

Le plus difficile est de rentrer dans un match. Quand on est titulaire, on a le temps de se préparer, faire l’échauffement comme il faut. Quand on rentre, c’est plus compliqué : l’entraîneur, les supporteurs, les coéquipiers, tous attendent beaucoup de toi. Et c’est déjà très difficile de trouver le premier souffle. Donc, il est primordial de réussir son échauffement.

Quelles sont les qualités qu’il faut pour être un bon remplaçant

Chacun a ses qualités. Moi, quand je suis sur le banc, j’essaie de me concentrer sur la défense adverse pour voir ses failles. Souvent, les jeunes font la gueule quand ils sont remplaçants. C’est une bonne chose d’avoir de l’ambition et de vouloir gagner. Mais dans la vie, il faut passer par des étapes. Etre patient. Chaque joueur a envie de démarrer un match. Après, c’est au remplaçant de mettre en difficulté son entraîneur. A lui de se montrer et cela passe par une bonne analyse du match et de l’équipe adverse pour pouvoir profiter des erreurs. Ça peut marcher comme ça peut ne pas marcher, mais il faut essayer. J’essaie de donner ce que mes aînés m’ont appris. A Monaco, j’ai eu la chance de jouer avec de grands joueurs et de profiter de leurs conseils. J’essaie de rendre la monnaie avec plaisir.

Est-ce qu’il y a une référence en la matière : un joueur qui sortait souvent du banc pour délivrer ses adversaires, qui vous sert de modèle ?

Romario (ancien international brésilien champion du monde en 94, Ndlr) n’était pas remplaçant, mais c’était un attaquant que j’aimais beaucoup : sa façon de jouer, de se déplacer, de tenir le ballon, ses feintes de corps… Il m’a donné envie de jouer attaquant. Après, il y a George Weah.  Dos au but, il gardait bien le ballon, se déplaçait bien et dégageait beaucoup de puissance.  Ces deux grands étaient mes références.

«Benzema est l’exemple type d’un attaquant complet»

Sommes-nous en train d’assister à une révolution du poste d’attaquant ?

Le poste d’attaquant a beaucoup évolué. Avant, les ailiers ne cherchaient pas à dézoner pour aller dans l’axe, ils restaient sur le côté. C’est pareil pour les latéraux. Mais aujourd’hui, les ailiers rentrent dans l’axe, les latéraux participent aux phases offensives. Et marquent des buts. L’attaquant aussi doit suivre cette évolution. L’idéal est d’être un footballeur complet, sans occulter la notion de complémentarité. Une équipe de football, c’est comme une entreprise, avec des responsabilités différentes. Il faut suivre l’évolution en gardant sa spécificité.

A votre avis, y-a-t-il aujourd’hui un footballeur qui symbolise cet attaquant modèle ?

Karim Benzema ! C’est un attaquant complet. Il vient chercher le ballon, fait jouer son équipe, bouge beaucoup et marque des buts. Il est très bon. (Sergio) Aguero et (Luis) Suarez ne sont pas mal non plus. Les profils sont différents : Suarez a parfois du mal, mais devant le but, il est adroit. On ne peut pas l’obliger à descendre défendre. Il peut faire de temps à autre des efforts, mais sa force c’est devant le but. Ces trois attaquants aux profils très rares, symbolisent l’évolution du poste d’attaquant.

Quelle relation doit-il y avoir entre l’attaquant et le reste de l’équipe ; qui doit s’adapter à l’autre ?

C’est à l’attaquant de s’adapter à l’équipe, non l’inverse. C’est l’équipe qui fait les joueurs. Messi, par exemple, n’est rien sans ses coéquipiers. C’est pourquoi l’attaquant doit avoir un registre varié.

L’importance des statistiques dans le football d’aujourd’hui n’est-elle pas en train de compliquer la tâche aux attaquants : tout le monde a envie de marquer, on devient de plus en plus égoïste devant le but

C’est connu : les attaquants sont égoïstes. On veut tout le temps marquer. Personnellement, je ne m’occupe pas des statistiques. Le plus important est de rentrer dans un terrain et de me donner à fond. Travailler pour l’équipe. Si j’ai l’opportunité de marquer, je ne m’en prive pas. Être égoïste, ce n’est pas un défaut, mais une qualité pour un attaquant.

«Sadio Mané peut encore mieux faire»

Cet égoïsme a–t-il fait de Sadio Mané un attaquant meilleur ?

Je trouve qu’il est trop gentil devant le but, pas assez égoïste. C’est une fierté pour le Sénégal et je pense qu’il peut faire beaucoup mieux. Je ne vais pas passer par la presse, mais je lui dirai ce qu’il doit améliorer pour être plus décisif devant les buts. C’est un garçon que j’apprécie énormément, parce qu’il a une bonne mentalité. Je l’ai vu arriver en équipe nationale. On en a discuté quand on est allé jouer contre l’Ouganda. Je ne dévoilerai pas le secret de notre discussion, mais elle a été constructive. Je suis un supporteur de Manchester, mais j’espère du fond du cœur qu’il gagnera la finale (de la Ligue des champions) avec Liverpool. Ce sera une fierté pour le Sénégal. Il a beaucoup progressé. C’est un joueur collectif, qui sait provoquer la défense adverse et qui est plus adroit qu’avant devant le but, mais peut encore mieux faire.

Le fait de marquer des buts pourra-t-il faire de lui un candidat sérieux pour le Ballon d’or

Pourquoi Messi et Ronaldo gagnaient le Ballon d’or ? Parfois, ils n’étaient pas au summum de leur art, mais marquaient des buts importants. Si Sadio continue à marquer des buts importants, il aura toutes ses chances. Mais ce que Ronaldo et Messi font depuis plus de 10 ans, je ne vois pas quelqu’un d’autre le faire. Je le souhaite pour Sadio parce qu’il en a les qualités. Mais dans la vie, il faut toujours se remettre en question.

Sadio est devenu un joueur majeur en club, mais n’est pas épargné par les critiques en sélection…

Parfois, ce qu’il fait en club, il ne le fait pas en sélection. Seulement à Liverpool, on ne compte pas que sur Sadio Mané. Au Sénégal, je ne dirais pas qu’on a que Sadio Mané, mais le poids qui repose sur ses épaules est énorme. Il faut lui laisser du temps et l’encourager. C’est seulement de cette manière qu’on pourra l’aider à être bon en sélection. C’est bien de le critiquer, mais la critique doit être objective. Il faut le protéger. Heureusement, on a des aînés qui font de bonnes analyses.

«Comme Diouf en 2002, Sadio doit s’adapter à l’équipe»

Faut-il bâtir l’équipe autour de Sadio Mané pour l’aider à être meilleur en sélection ?

C’est au joueur de s’adapter à l’équipe. Sadio Mané doit tout faire pour se mettre à la disposition de l’équipe. Non l’inverse. C’est collectivement qu’on doit s’en sortir. Je n’aime pas trop revenir sur le passé, mais la chance qu’on avait en 2002, c’était d’avoir un joueur comme El Hadji Diouf. Il était notre meilleur joueur, mais il s’adaptait à l’équipe. Sadio doit s’en inspirer. Il ne doit pas attendre que l’équipe joue pour lui. Il doit travailler pour l’équipe et après, celle-ci va le mettre dans de bonnes conditions.