La face cachée de Eumeu Séne ou le parcours atypique d’un champion

Comme Hurricane, Eumeu Séne (Mamadou Ngom, son nom à l’état civil) a dû batailler ferme pour se frayer une voie dans un quartier presque hostile à la réussite. Des écueils, il en a rencontré sur son chemin. Ado insouciant, il adorait ramener dans son quartier de Darou à Pikine, des reptiles, qu’il n’hésitait pas à exhiber pour faire peur aux gens. Une enfance atypique. Préférant courir les baptêmes pour se gaver de «lakh»,  au lieu d’aller user sa culotte sur les bancs de l’école, sa réussite est perçue presque comme un scandale.  

A Darou, un quartier populaire situé dans la commune de Pikine-Ouest, son effigie s’affiche à tous les coins de rue. L’enfant du quartier est devenu un modèle de réussite. S’il est désormais adulé, son ascension fulgurante suscite malgré tout bien des interrogations. Comment un garçon sur qui personne ne pouvait se risquer à miser un kopek, s’est-il subitement projeté au-devant de la scène, réussissant à ravir la vedette aux footballeurs et autres grands lutteurs qui ont habité le coin ?

Pour lever le voile sur cet itinéraire improbable, il faut se rendre à «Café gui», un endroit situé à un jet de pierres de la maison familiale de Eumeu et où les amis du futur adversaire de Balla Gaye 2  ont l’habitude de se retrouver pour discuter autour d’une tasse de «café touba». «Mbeur», «Gaïndé», «Doff bi» : ici, les sobriquets par lesquels on aime interpeller Eumeu Séne, font florès. Signe que leur champion est passé par plusieurs étapes. D’une enfance rude aux habits de lumière d’un champion au coups de poing ravageurs. Qui pour oser remettre au grand jour cette enfance tumultueuse ? «L’oncle bien sûr», souffle un ami de Eumeu, conscient que cet oncle, témoin des escapades et des bêtises du neveu, peut raconter à souhait, sans risque d’être rabroué ou de  recevoir un uppercut.

L’enregistreur peut alors tourner et Mambaye Thiam de (re) plonger dans ses souvenirs pour extirper de sa mémoire l’image de ce garçon trapu qu’il pouponnait sur ses genoux tous les matins : «Sa mère aimait bien me le confier quand elle allait au marché», confie l’oncle, confident du papa de Eumeu Séne. Dès le jeune âge et comme la plupart des mômes, les bêtises s’accumulent. Au quotidien. Les corrections, les gifles ou les coups de fouet, pour ramener le turbulent Eumeu à la raison, sont sans effet. Stoïque, il encaissait les coups de fouet ou de cravache sans broncher. «Cette image reste encore vivace dans mon esprit. Eumeu  ne bougeait pas pendant que les coups pleuvaient. Juste un souffle de lion, mais il ne bronchait pas», témoigne l’oncle. Le souffle de lion est resté collé à ce garçon têtu, fasciné par les reptiles. A son âge ? Hé oui. L’espace semi désertique (disparu du fait de la croissance démographique et qui s’appelle maintenant Guinaw-rails) peuplé juste de quelques arbres, derrière la voie ferrée où personne n’osait s’aventurer, était devenu un terrain de jeu pour le petit Eumeu.

Ignorant le danger, il y conduisait une meute de chiens pour pourchasser les reptiles, qu’il attrapait de ses mains avant de les fourrer dans un sac. Il énervait tout le monde à ce jeu qui consistait pour lui à exhiber les reptiles dans son quartier pour faire peur aux gens. Il s’en tirait toujours avec quelques remontrances et des coups  de cravache. Qu’importe, dès le lendemain, il reprenait de plus belle. Puis vint l’adolescence !

Eumeu découvre un autre terrain de jeu et exhibe au grand jour ses talents de fin gourmet. Les baptêmes, il se débrouillait pour les localiser, avant d’y mener (de gré ou de force) sa bande de camarades. Il  pouvait parcourir de longues distances, juste pour assister à un baptême et se gaver de ce mélange de bouillie de mil et de lait caillé communément appelé «Laakh». Et le plus marrant, se souvient-on encore au quartier Darou, c’est qu’il utilisait ses biceps pour arracher le bol de «laakh», qu’il mettait sur sa tête, tenant le bol de la main gauche et puisant la bouillie avec l’autre main. Idem pour les aumônes que les vieilles personnes distribuaient aux enfants pour conjurer le mauvais sort.

Le bonhomme se débrouillait toujours pour être servi le premier. Ce n’est que lorsqu’il est repu que le jeune Eumeu accepte alors de baisser la garde pour égayer l’assistance. «C’étaient des tranches de rigolades qui pouvaient durer des heures», témoigne Mambaye. Tout y passait : les chahuts, les imitations… Et à ce jeu, c’est Pape Diop Boston, ancien champion d’Afrique de lutte, le personnage favori, que Eumeu tentait d’imiter. C’est à cette époque, alors qu’il venait de souffler ses quinze bougies, que le jeune Mamadou Ngom (son nom à l’état civil) fait ses premiers pas dans la lutte.

Des pas timides exécutés sous le regard bienveillant de Pape Diop Boston dans un quartier où personne n’est surpris quand des notables, sur le chemin de la mosquée, n’hésitent pas à exécuter un croc-en-jambe ou un «mbott». Eumeu se découvre ainsi une passion  à  Darou, où  on vit de la lutte. L’ascension prend forme. Après une incursion à l’écurie «Boul Falé», Eumeu revient sur ses terres, son fief, Darou, son quartier d’origine, où on ne souhaite plus revivre le jour d’après. Le jour qui a suivi sa confrontation avec Modou Lô. Vivement le 05 avril 2015.

Igfm