Del Bosque : « Le sentiment du devoir accompli »

Il a pris les rênes d’une équipe au sommet de l’Europe en 2008 et l’a guidée sur le toit du monde deux ans plus tard. Il a ensuite poursuivi son mandat triomphal en menant ses troupes jusqu’à une série inédite et historique qui les a vues conserver leur sacre européen. Quand on est arrivé aussi haut, la descente ne peut être qu’abrupte et douloureuse.

Après les sacres espagnols à la Coupe du Monde de la FIFA, Afrique du Sud 2010™ et à l’Euro 2012, l’élimination précoce à Brésil 2014 et la prestation sans relief à l’Euro 2016 ont ouvert la boîte de Pandore. Vicente del Bosque a décidé de se retirer, tout en précisant qu’il serait également parti en cas de troisième titre continental.

Avant de quitter officiellement son poste, le sélectionneur espagnol a dressé le bilan de son mandat à la tête de la Roja au micro de FIFA.com. Ses propos laissent transparaître un soulagement certain, après des semaines mouvementées au cours desquelles, pour la première fois de sa carrière, on l’a entendu s’en prendre en public à une certaine frange de la presse. Il a même entretenu des relations tendues avec son capitaine, Iker Casillas, avec lequel il a finalement enterré la hache de guerre.

C’est un Del Bosque apaisé qui analyse, toujours au pluriel, les succès de son équipe, salue le travail effectué avant lui et fait preuve d’optimisme quant à l’héritage qu’il laisse à son successeur, dont on ne connaît pas encore l’identité mais qu’il assure déjà de son soutien total.

Monsieur Del Bosque, après huit ans à la tête de la sélection espagnole, vous avez décidé de quitter votre poste. Quel bilan dressez-vous de ces huit ans de mandat ?
Il y a eu de tout. Nous avons eu la chance de gagner beaucoup de choses, mais nous avons également subi des défaites. C’est le sport. Mais je m’en vais avec la conscience tranquille et le sentiment du devoir accompli pour le football espagnol.

Quel est le sentiment prédominant ? Le soulagement, la déception, la satisfaction ?
J’ai été heureux d’entraîner la sélection espagnole. Nous avons connu de très belles années, même lors de la Coupe du Monde au Brésil ou de l’Euro en France, qui n’ont pas engendré de résultats positifs. Je fais une analyse plus globale. Nous avons disputé 36 matches de qualification pour ces grandes compétitions et nous en avons gagné 33, pour une seule défaite. Ce sont des statistiques qui parlent. Nous avons conservé et renforcé le style de jeu de la sélection espagnole, qui jouit d’une grande reconnaissance.

La conquête de la Coupe du Monde en Afrique du Sud représente certainement le point d’orgue de votre mandat à la tête de la Roja. Mais au-delà des titres, quelle est votre plus grande source de fierté si vous faites le bilan de votre travail ?
Pour nous, les principaux protagonistes de ce sport sont les joueurs. Ils ont eu une excellente attitude. Ils se sont comportés en champions sur le terrain et ils ont été exemplaires en dehors du terrain. Nous avons tâché de maintenir cette ligne de conduite et je crois que globalement, nous y sommes parvenus.

Avez-vous des regrets ?
Non, franchement, non. Je ne vais pas dire que je m’en vais en ayant rempli toutes mes missions car nous savions que c’était quelque chose d’impossible, d’inatteignable. C’était quasiment impossible de gagner une autre Coupe du Monde et un autre Euro. Je m’en vais avec la sensation de ne rien laisser en suspens derrière moi. Nous avons entretenu l’excellent travail que Luis Aragonés nous a laissé en héritage en 2008. Et nous laissons une sélection qui a des ressources pour bien faire et qui donne des raisons d’être optimiste.

Justement, vous vous êtes toujours montré très reconnaissant envers Aragonés. Expliquez-nous ce qu’il vous a laissé en héritage et dites-nous ce que vous laissez à votre successeur.
Nous avons hérité d’un style et d’un chemin qui était déjà tracé. Après, chaque entraîneur, de par sa formation, son caractère et sa personnalité, peut donner sa propre orientation. Il n’y a pas deux entraîneurs qui se ressemblent, mais je crois qu’à l’époque, en 2008, le chemin était bien tracé. Aujourd’hui, je crois que l’équipe est orientée dans la bonne direction. Il faudra juste que le prochain sélectionneur incorpore les joueurs qui le méritent, comme nous l’avons fait de notre temps.

Pour un sélectionneur, c’est du pain bénit que d’être à la tête d’une génération aussi brillante que cette cuvée espagnole que vous avez dirigée. Mais qu’est-ce qui est le plus dur dans cette mission ?
Quand il faut prendre des décisions, qu’il faut choisir les meilleurs et qu’il y a un risque de se tromper car la marge d’erreur est minime. Pour les points négatifs, je dirais que parfois, dans les choix de joueurs, nous en avons peut-être pénalisé certains, mais sans mauvaise intention aucune.

La recette du succès d’une équipe est toujours la combinaison du talent d’une génération et de la patte de l’entraîneur. Quel est le pourcentage de chacun de ces ingrédients ?
L’essentiel, c’est de disposer d’une matière première de qualité. Ensuite, ce sont le bon sens et l’équilibre de l’entraîneur qui font le reste. L’entraîneur doit peser sur deux aspects : il doit d’abord être un bon leader s’agissant de la cohabitation et de la bonne entente du groupe ; ensuite, il doit fournir aux joueurs les outils pour bâtir une grande équipe dans tous les sens du terme.

Le football a la mémoire courte. Lors de votre mandat, vous avez pu vous en rendre compte. Vous avez été élu Entraîneur de l’Année de la FIFA en 2012 et vous crouliez sous les éloges quand l’équipe gagnait. Quand les résultats ont été plus décevants, les critiques ont été implacables. Comment avez-vous vécu cette réalité plus amère ?
Dans l’ensemble, je n’ai pas trop à me plaindre. Quand l’équipe perd, c’est normal. Nous savons tous qu’il faut toujours composer avec des réactions extrêmes. Nous ne pouvons pas lutter contre les éternels détracteurs de la sélection espagnole. Mais dans l’ensemble, je ne suis pas mécontent. Nous avons engendré davantage de sympathie et d’affection que de réactions négatives.

L’Espagne a gagné des trophées en adoptant un style très particulier. Après les faux pas au Brésil et à l’Euro, un débat s’est ouvert. Selon vous, le style est-il, comme Xavi Hernández a l’habitude de le dire, non négociable ? Où est-il temps d’essayer de nouvelles choses ?
La décision appartient au nouveau sélectionneur et je ne crois pas que c’est mon rôle d’intervenir là-dedans. Je reste en retrait. Celui qui me succédera prendra une décision et il fera bien son travail.

Un conseil pour votre successeur ?
Non, non, non, certainement pas. Je vois le football d’une certaine façon, avec mes yeux, et peut-être que mon successeur ne partagera pas cette vision. Le prochain sélectionneur doit bénéficier d’une liberté absolue pour travailler à sa guise.

À quoi va ressembler la vie de néo-retraité de Vicente Del Bosque ? Qu’avez-vous envie de faire ?
Je ne me suis pas encore posé la question, mais je ne suis pas un nostalgique du passé. Je vais essayer de bien vivre, avec moins de responsabilités, plus de tranquillité. Pour l’instant, je consacre du temps à ma famille et je m’attache à ce que l’on soit en bonne santé, ce qui est le plus important.

Quel message d’adieu vous a le plus touché ?
Il y en a eu beaucoup, vraiment beaucoup. De la part d’amis, de joueurs, d’acteurs du monde du football, de supporter anonymes. Tous ces messages étaient remplis d’affection. Je m’en vais donc avec beaucoup de reconnaissance.